Rencontre avec Sylvain Breuzard, créateur de Norsys, société de maîtrise d’ouvrage informatique labellisée Engagé RSE, autour du concept de « permaentreprise ».
En 1994, Sylvain Breuzard, ancien dirigeant du Centre des jeunes dirigeants, président du conseil d’administration de Greenpeace et créateur du réseau Etincelles (spécialisé dans l’insertion de jeunes en difficultés), fonde la société de service et d’ingénierie informatique Norsys. A son tableau de chasse notamment : le système Ameli, présent sur les smartphones de très nombreux assurés sociaux. Aujourd’hui, Norsys compte 600 collaborateurs situés sur huit sites en France et au Maroc, et revendique un engagement en RSE qui lui a valu le label Engagé RSE dès 2013, suivi du label B Corp en 2019 puis d’être reconnue société à mission. Au cœur de la démarche : l’innovation sociale, avec le concept de permaentreprise que Sylvain Breuzard détaille dans « La permaentreprise, un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture » (éditions Eyrolles, mars 2021).
Comment a commencé votre réflexion sur la RSE ?
Sylvain Breuzard – En 1998, la loi sur les 35 heures crée des remous dans notre entreprise : nos 50 collaborateurs n’en veulent pas. Pourtant, nous sommes persuadés que concilier vie privée et vie professionnelle est un enjeu fort pour les années à venir : stress, embouteillages, pollution, etc. Nous en sommes venus à nous intéresser aux mutations sociales, dans l’optique de rechercher le meilleur équilibre entre l’économie et le social. Et avons décidé que toutes nos actions devaient prendre en compte à la fois l’humain, l’environnement et l’économie. Ainsi, en 2005, en pensant notre politique d’égalité professionnelle et de lutte contre les discriminations, nous avons créé une fondation pour accentuer notre impact. L’attractivité de l’entreprise s’en trouve renforcée ; c’est un plus en matière de recrutement et de fidélisation, un atout contre l’absentéisme. En 2007, au moment de calculer notre bilan carbone, nous avons fait des campagnes de sensibilisation, formé nos collaborateurs aux écogestes. A l’époque, on parlait déjà de télétravail et de covoiturage !
Pourquoi avoir sollicité AFNOR Certification ?
Sylvain Breuzard – J’ai rencontré le groupe AFNOR en tant que responsable du Centre des jeunes dirigeants, sur la thématique de la performance globale de l’entreprise. Chez Norsys, nous avons voulu qu’AFNOR vérifie la cohérence des actions et nous dise où nous nous situions. Nous avons aussi demandé les labels Lucie et B Corp, car nous voulions apprendre de chaque outil d’évaluation. Nous restons fidèles à AFNOR Certification car depuis 2013, nous affichons la mention « Excellent » du label Engagé RSE (la meilleure des 4 catégories, ndlr).
Comment avez-vous créé de la « disruptivité » dans votre entreprise ?
Sylvain Breuzard – En 2011, je deviens président de Greenpeace, et je me dois d’aligner mes discours et mes actions avec mes idées. Mais pour protéger la planète, il faut être capable de se remettre en question, de trouver des idées nouvelles. J’ai appliqué cela dans mon entreprise en créant un groupe dit de « Pirates », chargés de réinventer les modèles, de remettre totalement en question nos modes de management, nos manières de créer du relationnel, nos engagements environnementaux.
Qu’est-ce que le concept de permaentreprise, et qu’est-ce que cela a changé en l’appliquant chez Norsys ?
Sylvain Breuzard – Ce concept s’inspire de la permaculture et en reprend les trois principes éthiques : prendre soin des êtres humains, préserver la planète, se fixer des limites et distribuer les surplus. Il nous a fallu neuf mois pour vérifier qu’il y avait vraiment une idée nouvelle avec ce modèle. La régénération des ressources, par exemple, s’applique à l’entreprise en posant la question de comment les collaborateurs gagnent en employabilité, en énergie positive.
Quels armes ce raisonnement vous a t-il fournies lorsqu’est arrivée la pandémie de covid-19 ?
Sylvain Breuzard – Nous étions prêts à l’affronter car nous avions anticipé les mutations qu’elle a engendrées. En effet, notre réflexion sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle a conduit à ce que 40 % de nos salariés étaient déjà en télétravail au moment du confinement, avec les outils adéquats. Comme nous avions en tête l’idée de la régénération des ressources, nous n’avons jamais placé nos salariés en flux tendu, ce qui nous a permis de fortement nous mobiliser lorsque l’activité a repris à plein.
Pourquoi dites-vous que la RSE est insuffisante ?
Les entreprises ne peuvent prétendre faire de la RSE si elles n’ont pas de vision globale. Or, j’en vois beaucoup mener des actions parcellaires sans se projeter dans les mutations à venir, ni penser à la régénération de leurs ressources humaines et environnementales. Le monde continue de se dégrader, il faut faire beaucoup plus. Or ces entreprises expérimentent peu de concepts ou et développement peu d’expérimentations. La permaentreprise revendique le contraire. Nous avons des solutions mais pensons aussi que d’autres acteurs peuvent en avoir de meilleures, de nouvelles et nous inspirer. C’est notre état d’esprit et cela nous fait avancer.